lundi 10 décembre 2007

Pierre Subleyras - La Courtisane Amoureuse

L'artiste



Pierre Subleyras (Saint-Gille, Gard, 1699 - Décès : Rome, 1749)




Un peintre français à Rome

&

son oeuvre majeure




La courtisane amoureuse





Né à Saint-Gilles-du-Gard et formé à Toulouse auprès d’Antoine Rivalz, Pierre Subleyras
(1699-1749) gagna le Premier prix de l’Académie royale en 1727 et partit pour Rome l’année suivante.
Il ne quittera plus la ville, adoptant pour patrie celle de son épouse, la miniaturiste Maria Felice Tibaldi.
Bénéficiant de commandes de l’Église, comme Le Repas chez Simon (Louvre), il compte parmi les peintres majeurs de Rome, avant la vague néoclassique qui déferle sur la ville. D’une production plutôt austère, se distinguent les Contes datés autour de 1735, dont la notoriété est attestée par l’exécution de plusieurs versions.


Saint-Aignan, son protecteur


Quatre d’entre eux appartenaient au duc de Saint-Aignan, ambassadeur de France à Rome de
1732 à 1741. Tâtant lui-même du crayon, il joua le rôle de protecteur et de mécène pour les jeunes pensionnaires de l’Académie, dont Subleyras.



Il est fort probable que La Courtisane amoureuse ait orné sa collection, dont la vente en 1776, illustrée par Saint- Aubin, contient près de 400 tableaux. Une gravure à l’eau-forte par Pierre, pensionnaire à l’Académie de France à Rome depuis 1735, laquelle présente des variantes avec le tableau, pourrait témoigner de l’existence à Rome d’une autre version (fig. 5).


La Fontaine, conteur libertin


Le poète lyrique du XVIIe siècle (1621- 1695) doit à un registre mineur, la fable, un succès
jamais démenti. L’écrivain s’était exercé auparavant à versifier ses Contes et nouvelles, historiettes légères ou gentiment lestes empruntées aux auteurs de l’Antiquité ou de la Renaissance, tels Boccace ou l’Arioste.
Trois volumes paraissent entre 1664 et 1671, mais La Fontaine dut renoncer à diffuser le quatrième, frappé par la censure.



C’était le prix à payer pour gagner les bonnes grâces de Louis XIV : une gageure quand on a été le protégé, fidèle de surcroît, du surintendant Foucquet. Un intime du roi, Premier valet de chambre de Sa Majesté et ami des écrivains, avait déjà joué les intercesseurs au moment de la publication des Amours de Psyché et de Cupidon en 1669 : il s’agissait du duc de Saint-Aignan, le propre père du mécène de Subleyras. Mais il serait vain d’y voir plus qu’un concours de circonstance.

Les Contes étaient entrés dans le répertoire des peintres, Vleughels et Pater, quand Subleyras s’y consacra.
Un conte qui finit bien
Édité en 1671, La Courtisane amoureuse, l’un des contes les plus réputés de La Fontaine, n’a pas de source bien identifiée.



C’est l’histoire d’une fière courtisane romaine, Constance, rachetée par l’amour qu’elle porte à un jeune seigneur, Camille.
Elle accepte de s’humilier devant lui dans ce geste suprême de servilité que constitue le fait de le déchausser avant le coucher. Touché par cet acte d’amour et d’abnégation – elle lui sacrifiera également ses beaux habits, découpés au poignard quand son compagnon refusera de l’aider à son tour –, il décidera d’épouser la courtisane.

La morale de l’histoire, c’est que l’amour est capable de métamorphoser les êtres les plus rétifs : d’une femme orgueilleuse, il fait un mouton ; d’un jeune viveur, un mari.
Un succès de librairie.
Comme pour les Fables, l’illustration s’est emparée des Contes, prétexte à des images plus ou
moins licencieuses selon les éditions. La première du genre, illustrée par Romeyn de Hooch, avait paru en 1685 (fig. 6). Au XVIIIe siècle, «âge d’or» des Contes, comme le XIXe siècle le sera des Fables, les estampes se succèdent. Elles ont pour inventeurs Pater (1734),
Boucher (fig. 7), Cochin (1743-1745), Charles Eisen (1761) et Fragonard.



Chacun y imprime son style, de la femme empanachée de Romeyn de Hooch jusqu’à la tendre réconciliation des amants sous le dais grandiose d’un lit, qui est, chez Fragonard, la métaphore
du plaisir.


Tableau de goût galant
À première vue, on ne peut imaginer oeuvre libertine plus pudique que la petite toile de
Subleyras.
La brune Italienne, vêtue de ce bel habit qu’elle immolera, est penchée, comme une Madeleine
aux pieds du Christ, sur la jambe du blond Camille, qu’elle dénude avec délicatesse.
Le lit est à peine visible.
Le cadrage est serré sur le couple, renforçant cette impression d’intimité qui fait la force du tableau, miracle de la litote picturale.



Subleyras n’a pas toujours été aussi retenu. Deux tableaux inspirés des Contes de La Fontaine, Le Bât et La Jument du compère Pierre , sont d’une gaillardise explicite.
Outre sa perfection formelle, le charme du tableau tient à la finesse psychologique qui éclaire
le jeu des deux protagonistes (rougeur de Constance,
regard en coin de Camille). Il tient aussi à la manière qu’a Subleyras de nous restituer un peu des moeurs du XVIIIe siècle. De beaux costumes, un intérieur cossu, un ton de civilité qui demeure, malgré la muflerie du garçon : le tableau s’apparente aux «tableaux de mode», genre rare et bref qui fleurit entre 1724 et 1735 sous le pinceau de peintres d’histoire convertis,
par goût ou par nécessité, à la scène de genre (parcimonieuses
sont alors les commandes royales).


Nul doute que Subleyras ait connu à Paris, où il séjourne en 1726-1728, les oeuvres de Jean-François de Troy, maître en la matière. La Courtisane amoureuse, avec son harmonie rouge, or et bleu, son cadrage serré, son érotisme voilé, rappelle la Dame attachant un ruban à l’épée d’un cavalier de De Troy, daté de 1734, mais dont l’invention est peut-être antérieure.



Comme La Fontaine à demi-mot, ces peintres d’histoire rompus à la science allégorique manient la licence avec adresse, bousculant le rôle des sexes, laissant le spectateur décrypter ou non, selon sa tournure d’esprit, le sens caché de certains détails (l’épée enrubannée chez De Troy,
le pied déchaussé chez Subleyras). L’ambiguïté, lorsqu’elle est bien conçue, fait tout le sel de
la peinture galante du XVIIIe siècle.

Et si on en doutait, il suffirait de relire La Fontaine,
que Subleyras a si bien servi :
«Nuls traits à découvert n’auront ici de place ; Tout y sera voilé, mais de gaze ; et si bien,
Que je crois qu’on n’en perdra rien»






Autres oeuvres




Charon Passant les Ombres (1735)



Charon (Caron) passant les ombres


vers 1735 huile sur toile 135 cm x 83 cm


(Musée du Louvre - Paris)


La barque de Charon (Caron) traverse le Styx pour amener les âmes en Enfer.
Subleyras témoigne, dans cette oeuvre, d'une parfaite maîtrise du traitement des nus et des drapés, exercice demandé aux jeunes peintres en devenir.

Le Bât, 1732

Le Bât représente un jeune peintre appliqué à tracer un âne autour du sexe de sa maîtresse, épouse consentante d’un confrère trompé... Tout est ici appel au désir, encouragement à violer les saintes lois du mariage. Quant à l’œil dardé de l’artiste sur les genitalia de sa jolie partenaire, comment résumer plus complètement le propos du Triomphe d’Eros ?


Huile sur toile - 30,5 x 24,5 cm

Saint-Petersbourg, Musée de l'Hermitage








































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